13.1.13

Memorium in extremis.....






Dans ma jeunesse, j'aimais bien jouer à la devinette, on me faisait  bander les yeux avec un foulard de tête ou avec un bandana mis autour du cou, et dans cette obscurité épaisse, je devais reconnaître les personnes, par l'arrivée des voix  de mes amis à la cour d'école, par le toucher de mes cousins et cousines sur les plages en été, par des tapes sur le corps de mes frères et soeurs au jardin, à nommer les uns et les autres, à me diriger vers des pas en course, vers des voix masquées, ou méconnaissables, vers  des rires  étouffés, vers  des  cris d'Ohé ! en écho, pour dérouter mon attention ou ma concentration...
Ah ! Que du bon vieux temps, celui de l'insouciance...

Curieusement, plus tard, j'ai su que la stimulation tactile était la seule fonction sensorielle que je n'ai pas perdue lors de ma léthargie, du moins c'était mon constat et la seule preuve qui maintenait mon raisonnement  en survie et qui me liait au monde extérieur. 

Dans cette absence prolongée, qui m'avait plongée dans la solitude de la réflexion, j'en déduisis, que je devais développer un peu plus cette sensation d'organes en moi, si les personnes qui me sont les plus proches n'ont pas perdu espoir et tentaient vainement de perpétuer le contact avec moi, sans s'abattre ni s'affaiblir, je suis certaine que j'arriverais moi-même à en faire autant, néanmoins, je devais être forte pour eux.

Au fil des jours qui se succédaient, une nouvelle vague d'abandon me submergea, sans que je parvienne à un quelconque résultat ou que je réagisse à cet imprévu pour y voir plus clair, j'étais fort affligée.

Nonobstant, j'étais réconfortée par cette lumière, vacillante d'intensité, en sentence provisoire,  qui  ébranlait mon discernement.

Je m'insurgeais contre cette brume terrifiante, je refusais de me soumettre à cette panique envahissante... En effet, il me suffisait de faire le vide en moi et parvenir à me concentrer, je sais que je réussirais un exploit d'exception. 

Quelquefois, par un bref instant, je m'exposais à de farouches interceptions, je parvenais par moments à entendre de loin, une légère bribe de conversation, un soufflet aérien de vent en parole, une pureté de brouhaha en rafale incompréhensible à mon ouïe, une fluidité de murmure en écho, un mélange de tristesse de bruit en émotion, une soudaine tempête de larmes, un dégagement fugace d'un hoquet silencieux...
Je n'ai su déterminer en un mot, cet effet de blèsement ni ce chuintement succinct qui éraflait mon atmosphère...

Au début, j'étais insensiblement déchirée entre un vide et un plein,  à une tranquillité affolante ou à un saisissement en effervescence,   ma perception grandissait, c'était un trouble tumultueux émotif, qui m'était extrêmement difficile à appréhender, mais parfois, une chaleur trouvait un chemin de vie dans mes veines, irriguait en émoi dans les artères de mon aorte, provoquait une tension artérielle, revivifiait les valves de mon coeur, une source manifeste ineffable, agréable, sensuelle me serra la main.

Je commençais à me familiariser au toucher,  le fébrilement  des gestes, une agitation d'anxiété,  des caresses qui m'accablaient, des baisers qui me comblaient,  des sensibilités qui m'effondraient, j'avais tant d'amour que m'offrirent mes proches...

Je reconnaissais parmi, celles de ma mère, si familière, si douce avec autant de délicatesse, elle veillait sur moi,  ne pouvait inéluctablement quitter mon chevet, elle m'aimait tant,  m'octroyait toute son affection sans bornes et j'étais persuadée, que je lui manquais affreusement, que ses jours lui étaient pénibles sans moi, mon état lui faisait tant de peine...

Elle me soutenait par sa présence, par sa respiration, par l'afflux de tant de sentiments, je sentais sa force qu'elle me prodiguait en avalanche, celle de me battre, celle de vivre et celle de m'accrocher à la vie...
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Ô! Maman, si tu savais comme c'est cruel de t'entendre parler et de ne pouvoir te tranquilliser rien qu'avec une pression de ma main, je lutte pour t'envoyer un signe, faire bouger un doigt, mais rien ne vint, je restais immobile...

Maman! comme tu me manques terriblement, j'aimerais tant poser ma tête au creux de tes seins et t'entendre me narrer des histoires comme autrefois... 
Tu caressais mes cheveux, tu me berçais dans tes bras et tu partais sur un cheval blanc, je survolais le monde des songes, où tu me faisais voyager vers des contrées lointaines, je visitais des lieux inconnus à travers tes contes ceux des mille et une nuits...

Toute ma vie, je me souviendrais de ces moments de bonheur, tu commençais toujours par cette phrase captivante, envoûtant : "Il était une fois, dans le royaume des temps anciens..."
Tu détaillais les endroits, tu mimais tes personnages,  tu les habillais d'étoffe de soie, de dentelle, d'organza, de guipure, de satin,  tu les ornais de parures en bijoux, en perle, en diamant, en émeraude, en saphir, tant de pierres précieuses, tant de couleurs  époustouflantes et moi émerveillée par cette féerique magie, de ces princes et princesses d'orient, par la belle au bois dormant, par cendrillon et par bien d'autres contes que tu magnifiais à ta façon....

Comme j'aimai que tu saches que tu as été pour moi, la mère chaleureuse, l'amie adorable, la complice intime de mes secrets, tu me lisais à travers les yeux, rien ne pouvait t'échapper et dans tes bras j'oubliais le monde, tes épaules l'infidélité,  ton coeur la cruauté et dans tes mains la méchanceté des humains.

Je n'ai rien oublié de nous, nos petits-déjeuners au bord de la plage déserte, nos veillées estivales sur les reflets d'une pleine lune, nos baignades à minuit, nos fous rires qui partaient en éclats, je t'aime tant maman, je n'eus jamais souhaité avoir une autre mère que toi, tu as toujours été fière de moi, tu avais une totale confiance en moi, tu disais... "qu'à travers les épreuves de la vie qu'on se  forgeait une personnalité... ", tu me manques tant...

.....

Ma mère était si désemparée, cette attente lui était insurmontable, qu'elle eut envie de pleurer, mais chassa subitement cette pensée accablante, elle se souvint des réclamations des médecins, il fallait, qu'elle continua à parler, à établir sans renoncer le contact, c'était si désespérant de tenir à un bout de fil mou, à avoir des nerfs d'acier sans fléchir... 
On lui a fermement recommandé que c'était l'unique chance, c'était un outre-monde où les vivants n'avaient pas droit d'y pénétrer, ni d'effleurer son mystère, ni que les recherches avaient abouti à une quelconque synthèse, ou à une probabilité scientifique,  tout ce qu'on pouvait affirmer avec certitude, que le temps était le seul remède, qu'un jour un miracle pouvait se produire... 

D'autres jours, elle parvenait à raconter  ses journées quotidiennes...
Celle de sa voisine, une vieille dame qui n'a pas eu d'enfants, si gentille, si serviable et si entreprenante. Elles allaient ensemble au marché, elles faisaient aussi les courses, d'ailleurs, elle était tout le temps chez nous, sa seconde demeure en quelque sorte, elle était la seule voisine très proche de ma mère...  
Ou celle d'une compagne du temps, qui était une ancienne copine de classes, la vie les a un peu séparée, mais un jour, elles se sont retrouvées lors d'une réunion des parents d'élèves, par un pur hasard, sa fille et ma soeur étaient dans la même école et depuis, elles ne se sont jamais quittées, si bien, qu'elle fut plus tard,  ma marraine.  Elle ne pouvait venir me voir, cela la chagrinait, on n'autorisait les visites qu'aux proches, par ailleurs, elle m'envoyait des prompts rétablissements et des baisers à profusion...
Ou de mes amis, qui ne cessaient de s'inquiéter pour moi et l'appelaient sans cesse au téléphone pour avoir de mes nouvelles, tout mon monde extérieur était en crainte.

Lentement, d'autres mains se joignaient aux miennes, à présent,  j'essayais de reconnaître les âmes. Il y avait celles de mon père, très vives, vigoureuses, avec un coeur tendre, une voix animée qui dissimulait son abattement.

Effaré, mon père n'était pas aussi présent à mes côtés que ma mère,  il ménageait son coeur de toute épreuve, avec l'âge, il ne supportait plus de fortes émotions, il voulait demeurer fort devant ma mère, ou feindre de l'être, il essayait de lui donner de l'espoir, en rendant la scène moins tragique, il avait toujours cet humour ironique, un plaisantin, des farces sur untel, ou sur des situations drôles, qui te faisaient rire sans avoir envie.

Mon père me parlait de ses aventures de pêches avec ses amis, il n'arrêtera jamais d'escalader des monts et naviguer vers des mers, pour explorer tel rocher ou telle cime, un aventurier de la pêche et des endroits insolites, il adorait avoir une belle vue sur l'azur, il disait en connaisseur, que plus on était en hauteur et plus la beauté du  grand bleu était saisissante et quand on prenait le large c'était sublime d'embrasser de près l'horizon. 

C'était un homme du sud, bien bâti, un gaillard,  mais qui a vécu en milieu urbain  depuis sa plus tendre enfance, il allait à travers tout le pays, rasant des  pleines et des palmeraies, il connaissait les régions comme sa poche et pouvait se déplacer d'un endroit à l'autre avec une aisance surprenante, comme s'il avait passé toute sa vie.

Si bien que nos vacances d'étés étaient toujours au bord de la mer, soit on louait une maison quand on été plus jeune, ou dans un hôtel étant des adolescents, ou des fois sur des plages désertes, accompagnés de toute une bande de cousins, de cousines et des amis, fallait bien de l'espace.

Sous des tentes notre abri de nuit, des moustiques et avec en guise de lumière des lampes à pétrole mais, les hommes préféraient dormir sous la belle étoile ou partageaient des sacs de couchage.

Aux alentours, on avait des terrains viticoles,  les campagnards étaient très hospitaliers, généreux et fort accueillants... 
Le matin tôt, on avait droit, à un délicieux petit-déjeuner, du pain fait maison pétrit à l'huile d'olive, avec un mélange d'arômes d'herbes et d'épices cuit à la "Tabouna", un four en terre, (le pain était collé autour des parois et sitôt cuit, tombait tout seul au fond).

On tartinait le pain chaud avec du beurre frais et disposait des figues au milieu, un délice au palais, accompagnait de lait de vache aussi frais.

Vers midi, on répartissait les tâches, les hommes s'occupaient de la pêche, à rôtir les poissons sous un feu de bois et les femmes des salades soient vertes, soient à la tunisienne "mechouias" et en dessert des fruits de saison, essentiellement de pastèques et de melons.

...

L'odeur iodée de la mer, me saisis les sens et...


J'essayais de grimper en dehors du gouffre dans lequel,  je me suis encastrée et telle une dormeuse qu'on réveillait, je revenais l'espace d'un éclair dans le monde des vivants, je m'imaginais...

Escalader des montagnes, bordant un fouillis d'arbres et d'allées...
Longer un champ de tournesol, abritant quelques haies de cyprès... 
Caresser le frémissement des blés en fleurs, ondoyant le gré du vent...
Piétiner dans le désert aride,  reflétant l'eau d'une oasis du Djérid...
Vibrer d'envie sur les ailes d'un nuage dense de survie...
Survoler les cieux interdits, sur des couleurs flambantes d'un horizon endormi...
Peigner le ciel de lumières, celui de mon coeur...
Arroser la flamme du bonheur...
Cueillir les étincelles de l'amour...
M'exposer aux rayons de soleil...
Valser sous des mots susurrés par la brise parfumée...
Effleurer les vagues de caresses au chant languissant...
Une prouesse des ondes rafales en senteur enivrante...
...

Je me plaisais à glisser mes pieds dans l'eau et à éclabousser le calme des flots en un tourbillon de cercle...
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                                                                                                        "Second Part..."












6.1.13

Memorium in extremis.....








Une nuit semblable à celle-ci où je dormais d'un sommeil profond, j'étais allongée sur un lit qui n'était pas le mien...
J'ai dû parcourir un long chemin de lutte pour y être placée, il semblerait que ma tête avait heurté un bloc dans sa chute ou qu'un vaisseau dans mes veines avait éclaté, gisant un labyrinthe de route en sang dans ma cavité cérébrale.
C'était mes derniers souvenirs avant que je ne sombre dans l'oubli du temps et la sombreur d'un fleuve aiguisé d'épines, tailladé d'un interminable goutte-à-goutte en sa clepsydre.

J'étais dans une léthargie totale, tout était noir, la peur, la crainte, un pressentiment épouvanté, un monde de ténèbres lacérait mon fond, une cavité estomaquée, mon fort intérieur était givré, glacé, momifié, aucun membre ne voulait réagir à ma survie, ni son, ni voix, ni percussion, mon antre gorge anesthésié de syllabes...
Mes poumons étaient comme un sac de couchage qu'on remplissait d'air, mes oreilles ne perçaient aucun sifflet, mes yeux d'une nuit noirâtre, sans aucun mouvement clos ou béant, juste des paupières loques, garnissant un visage morbide, altéré par les griffes de la moisissure, virant au gris verdâtre, d'une teinte livide de mort-vivant, un ambulant des cimetières au visage excorié en quête d'âme au sang frais, horrible palette d'un mélange lépreux, de couleurs pâteuses, sur un fond de toile en décomposition... 
J'étais comme cette brebis galeuse, qu'on mettait en quarantaine, répugnante, au sort sordide, pestiférée par le destin, nauséabond drap de lit, méphitique odeur des lieux...

Justicier !! ... de ma potence...., un aphorisme sentencieux lourd de conséquences...
Je me meurs dans mon silence..., je broyais du noir, les pensées les plus sombres me torturaient l'esprit, je ne pouvais surmonter ni la douleur de mon calvaire, ni le chagrin qui anéantissait mon âme...
J'étais accrochée par des ongles incarnés dans la pierre roche..., le sang bleuté, en croûte escarrifiée, languissant sur un tégument écailleux de mon derme, sentant le frelatage...

Pourtant, je me sentais encore en vie...

J'essayais de me ramasser dans ma pénombre partielle ou définitive... La chair de mon corps et mes appas flétris...
Une cervelle creuse, un sillon sans neurones, un abîme dans un champ d'hémisphère de mon caveau...

De par cette obscurité qui m'envahissait, le silence pesant macérait en crucifix mes entrailles, insupportable habitacle de ma tombe...

Ô !! Seigneur des cieux et des terres...

Je me prosterne devant votre trône, j'implore votre grâce divine, mes larmes ruissellent en rafale sur mon visage, je prêche avec onction, la dévotion, la ferveur de mon âme froissée...
Ayez pitié d'une âme qui ne supplie que le pardon et l'amour du bon Dieu à ses fidèles croyants.

Je déchargeais mes pensées, d'apaiser l'obscurité de mes craintes, d'affranchir ma confusion tumultueuse et la frénésie de mes maux...

C'est alors que j'ai perçu une lumière très loin de moi qui éclairait un passage étroit...
J'étais quelque part vivante dans cette pénombre nébuleuse d'inconscience en conscience...

Cette lumière me fascinait, je voulais tant y aller, elle m’embringuait à la rejoindre, m'entortillait à l'approcher, à me faufiler à travers son sentier sinueux en serpentin sans fond ni fin... 
Mais, j'étais incapable du moindre geste, ne serait-ce celui des plus anodins.

Je sentais que cette lumière me tenait à la vie, tant que j'arrivais à la percevoir, c'est que mon âme n'a pas encore rejoint l'au-delà, piètre était mon ultime soulas...
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Un jour, j'ai eu un éclair qui a sursauté en éclat dans mes fonctions cérébrales, on commençait à me parler, une voix de loin me parvenait, un souffle de mots se rassemblait comme un aimant pour parfaire une phrase, comme si quelqu'un à mon chevet prenait des notes citant des dates, elle me disait dans une lecture étouffée de pleurs que ma mort lente physique et morale durait plus d'un mois et quelques poussières...

J'étais hallucinée, incrédule verdict à mes attentes, frappée jusqu'au sang par une telle épouvante, la consternation d'un jugement sévère, une délibération sans proclamation à ma défense, l'impartialité absolue...

J'étais comme celle qui tenait à la vie par un circuit de branchement à un mécanisme artificiel, j'avais envie de tout débrancher et de partir loin, si loin.... c'était trop pénible pour ceux que j'aimais de les faire souffrir autant..., ils avaient cet espoir que j'allais me réveiller un jour...

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                                                                                                     "First Part...."