28.2.15

La peau de chagrin...


-IX-
La traversée des ombres
***





J'orne les meubles de mon monde torturant, qui m'accapare jour et nuit. Je suis vêtue sans aucun désir, un misérable voile apaisant mes inquiétudes. La vanité de mes chagrins, un harcèlement vivant me caresse de baisers démesurés, un air délicieux de vérité... la mienne. 

Par moments, la voix disparaissait et aussitôt une ombre prenait place. Je ne distinguais pas son apparence, mais j'avais cette sensation de la connaître depuis toujours. J'écoutais sa respiration haletante sur moi, ses lèvres m’étreignent, se fanent sur ma bouche et tombent déchues sur le sol, aux pieds de mes herbes disgracieuses. Elle m’assiége dans sa forteresse, j'étais sa prisonnière, même la voix ne pouvait m'atteindre en sa présence. Elle avait une emprise souveraine sur moi.  En me dominant, elle parvenait à me lire comme dans un livre ouvert, si bien qu'elle avait une longueur d'avance sur mes pensées, mes faits et gestes. C'est dans mes moments de faiblesse, de déroutes, d'instabilités, et dans mon manque de décisions, de discernement que l'ombre m'apparaissait plus distinctement.

Elle me soumettait à des délires farouches en ravivant une étincelle de feu qui couvait sous mes cendres. Elle asservissait sauvagement mes lettres cruellement entrecoupées. Elle muselait mon souffle, et riait de mes tiges grossièrement jetées sur le pavé du déclin. 

J'étais cette poupée chiffonnée qu'elle modelait à sa guise. Elle m'habillait de son humeur maussade, désagréable à longueur de journée, et en d'autres jours, j'étais plutôt dans la peau d'une folie frénétique à l'aliénation.  

Elle me rendait à son effigie, une statue frigide, rude et lustrée, un cœur de marbre insensible et glacé. Mes yeux étaient sombres, et bilieux. Le sourire avait abandonné mes lèvres, et les traits doux avaient disparu de mon visage, laissant une face impénétrable, ténébreuse. Je devenais impétueuse, d'une cruauté acariâtre, et mes mots étaient ironiques et acerbes.

Je suis perdue dans ma souffrance, je la savoure, je la respire. Elle est gravée, ferrée en moi. Elle m'appelle, m'interpelle de la suivre sur un chemin étroit. Elle coule en moi, serpente en moi, si tendrement, si confusément, si vaguement, mais comme autrefois, mes souvenirs me tirent vers le bas inlassablement inoublié.

"Le lendemain" est un mot incompris, puéril, superficiel, crédule, qui s'installe dans le vide d'une pauvre âme en perdition. Ce mot charmeur me tenait en lisière, me suppliait de le rejoindre dans son mensonge poudreux, avili de trésor non palpable, comme une nuée insaisissable dans le ciel bleu. Un droit qui s'octroie sans mérite, sans effort. La peur dans le ventre, d'une question dérisoirement et irrévocablement détournée.

- Le pourquoi d'une vie... Quand la seule raison de vivre, nous a quitté...

Une impasse à tout bout de champ frôle les yeux, la perception à d'autres interrogations qui afflux, et martèlent dans la tête, et se réduit à un sentier en pente dégoulinante, gélatineuse. Le souffle des mots livides échappe à la rescousse. Le droit à la vie, à la survie, de l'âme vivante en nous... 

Belle métaphore profondément volée, violée, serinée...


[....]