15.11.14

La peau de chagrin...


-VIII-
Mon regard vide...
***




   

    L'aurore chantait dans la nuit vibrante ses baisers de passion. Au fond d'un verger, une plantation d'arbres fruitiers donnait naissance à de brillantes couleurs. Dans le lointain, une masse de vert sombre formait des bouquets de fleurs qui disparaissaient dans le touffu du paysage. Une brume écarlate cuivrée s'élevait dans le ciel, des éclats aveuglants martelaient un soleil matinal brûlant. La terre vibrait d'un mirage de lumière éblouissante. Un filtre de  brume épaisse glissait lentement sur les bois. A un moment, un regard bleu déchira cette atmosphère recouverte d'une effiloche buée drue. 

    Dans la grisaille qui ébauchait ma prison close, seuls quelques lambeaux de rayons enlaçaient mon corps. Il y a deux jours, mon seul visiteur était ce petit rayon qui perçait le bruit du noir de mes murs. Des mouvements de danse accompagnaient son ombre, et il s'amplifia sur le rebord de mon lit, et vint cajoler et respirer la douce odeur de mes cheveux ensommeillés. Il s'amourachait d'une fougue à parcourir sa passion sur ma joue et sur ma bouche et les teinter de beige rosé,  et s'épanouissait sur mes yeux endormis... puis, finit par n'être qu'une lumière mourante sur le blanchâtre morbide d'une peinture d'hôpital. Je me sentais fragile, moue et nue, comme la mer paisible qui vint en sourire effacer mes larmes de pleurs.

    L'odeur d'une sérénité froissée, d'une photo déchirée de mon pénitentiaire individuel, aménagé pour ma sentence sans jugement. Les charges qui pesaient sur moi étaient accablantes, si bien que même sans ma plaidoirie, la décision de mon acquittement n'était plus envisageable. On pouvait lire ma défense agonisante sur les murs de ma geôle. 

       La voix insista :
    ― Tu dois être forte et t'accrocher à la vie. Débarrasse-toi de tout ce qui te pèse. Entame une nouvelle page et piétine les affres de la nuit.  Je la foudroie des yeux, et marmonne des mots entre les dents... 
      ― Ô ! Mais comment ? ... Que c'est beau, le ruissellement des mots faciles...

    L'usure des mots arrache mes plaintes, conjointement à mon anesthésie muette, m'essuie d'une averse de coups. Ils enflamment mon âme d'une chanson nostalgique où mon ouïe avait par habitude d'errer sur les notes. J'ai connu les joies de mon cœur, de chaudes et  de vives émotions. 

   Le torse serré, j'extirpais les épines dans les buissons de mes regrets. Je ne pouvais être forte, quand dans l'abîme de mon être, des soupirs rodaient en fantôme fugace. J'essayais de reconstituer une image d'un puzzle effrité en mille morceaux, mais en vain, ce n'était qu'un nuage infirme.

    Un souffle pénétrant exhalait la mort, un flot frémissant de mots sortait d'une bouche. Des sensations lointaines, imperceptibles montaient en moi. La voix obstruait mes pas, puis s'anima peu à peu, et voulu recoudre, recoller et tisser en riche broderie mon passé, mon présent et même mon futur. Toutefois, je l'avertis point de couleurs... Je les ai oubliées dans ma pièce à tiroirs, elles sont empoignées à une redondance merveilleuse, à de politesses spontanées de mon enfance. Je humais l'haleine de ma brise mélangée à mes couleurs devenues ternes, éteintes, pâles, décolorées, moroses. Et depuis quelque temps, elles m'enveloppaient d'un attirail de ténèbres, sur le son d'une flûte ébréché.

      Un brin de chagrin se lisait sur son regard, et la voix commença à s'approcher, je lui fis d'un signe de la main de s'arrêter, et lui tonna sèchement :
    ― Si tu as la recette toute prête, donne-la moi, sinon arrête d'errer au fond de mes pensées. Les jolies phrases toutes bien faites, j'en connais des tonnes. Elles sont si belles à cirer et à entretenir, très souvent d'une humeur glaireuse, mais la réalité en est tout autre. 

    J'étais encore assez forte pour proférer mes mots, et avec des yeux incrédules, la voix m'écouta sans brancher... 
    ― Tu ne vois pas que je suis nulle ou un rien m'emporte vers le néant de ma propre gloire. Il y a deux ombres en moi, qui se bataillent la relève, mais nulles d'elles ne réjouissent le grand rôle. Je m'étouffe entre elles... Elles ne sont que de piètre mercenaire, des plus ignobles races engendrées par l'humanité, celle de la faiblesse et de la peur... Elles me tuent de sang froid, sans pitié, comme une clepsydre qui s'écoule lentement en filament indolore. Un flot noir gicle suite à ce duel, il irrigue mon sang et arrose mes veines de son poison mortel. Le feu remue les cendres et calcine les larves, qui reprennent vie et sous un brasier ravivent mes perpétuelles douleurs.

      Je poursuivis en l'assommant d'un geste las... 
   ― Honneur à ma servitude terrassée, à mes heures vagabondes, creuses, muselées, à ligoter mes pensées engourdies, un disque rouillé, grincé, momifié.

    Ma bouche bégaye le cru de mon vivant, une obscène scène d'un vécu paralysé, qui ne veut quitter les entrailles de mon cerveau. Les tripes de mes idées confuses par le sacrifice peint en vitrail ensanglanté. Une poussière terreuse teintait ma palette, un miroir onduleux crayonne mes contours, déforme mes ombres, d'un simulacre scurrile.

   A présent, j'étais plongée dans ma propre obscurité, je ravalais ma colère et m'efforçai à trouver des mots cohérents et d'une voix saccadée, je lui répondis :    

  ―  Pourquoi veux-tu la colorer ?
  ― Mais ne vois-tu pas... Que la nuit et le noir cachent mes défauts falots, mes couleurs balbutient sous l'oubli. Elles s'endorment sous mes draps de la honte, du temps incompris, insoumis, indomptable, et fugitif. Je suis pétrifiée de  ses échanges immanents sous ma couche qui sont vulnérables, et persistants. Des sensations qui se veulent de sentiments sur mon corps, mort en ébullition. Elles se changent d'amour brûlant, suave, cependant mon étreinte est livide, frigide. Elles n'abandonnent guère, et insistent par des caresses, des doigts qui parcourent un cheminement d'éveil à la passion, en revanche mon coma bleuté accroche plus le froid, et suffoque le gel qu'un chaleureux été.



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