9.10.14

Les insatiables scélérats




 [Un hommage emblématique à la mosquée Zitouna]


Aujourd'hui, je me trimbalais dans mon pays en étrangère, mon home à moi jadis. Un chagrin détruisant l'accable. Je ne l'ai jamais vraiment ressenti, ni connu, mais les récents événements ont cédé à des pensées funèbres. A présent, tout m'est devenu étranger. Un foyer en ruine ceint au milieu des esprits. Une langue meurtrie, sans grammaire occulte, plane l'atmosphère. Un verbiage animé d'une poussière de grossièretés, que l'ouïe peine à déchiffrer. Un vocable d'une ampleur assourdissante à la compréhension, nous retient le souffle offusqué, s'ensuivent de nos yeux exorbités par l'horreur des mentalités. Une amertume écrase le goût salivaire, nos mots qui meuvent au fond du gosier.

Derrière mon regard ahuri, je me suis rendu compte qu'il était trop tard pour lui présenter nos excuses, bien trop tard... 

Le square était l'égide d'un entassement venu des quatre coins du monde. Une laide esquisse d'un peintre médiocre, qui se jouait de couleurs abjectes sur une toile préalablement colorée. Ce bouclier merveilleux s'était transformé d'un amas de salubrité considérable, d'une sordide puanteur et du vomi de virus germiné qui suffoquaient l'airLa nature enfantait une nauséabonde grossesse postmortem, et éternisait l'avortement. 

Les flammes de la rancœur s'étaient garrottées à l'âme sœur de la gratitude. J'avais cette impression qu'on dévorait à pas d'ogre les pages noircies de plus d'un siècle. Aussi, un empressement à coucher des calamités sur des feuilles blanches, qui auraient pu servir à bien plus meilleur... 

La vie de toujours ne nous a pas épargnée les maux de dégoûts, ni de la crasse excessive qui couvraient le reste de la capitale. Il y a deux jours, une décharge fourmilière de mouches tsé-tsé et de moustiques se délivrait aux captifs. Elles survolaient et guettaient sur tout ce qui bougeait, et à l'insu des victimes bourdonnaient des descentes sanguinaires. Ces mêmes, suçotaient le miel du sang sur des peaux lisses, et laissaient de belles empreintes infectées. 

Un étrange chagrin tressaillit ma peau. Un brouillard terne embrumait des visages d'enfants aux pieds nus, vous soutirant le sous, pour essuyer la misère avec des petits mouchoirs en papier. Des corps ternes gisaient par terre, tout le long des pavés. Des mains se hissaient pour quémander la grâce divine aux piétons, que les poches, ainsi que les sacs étaient déjà troués par la cherté de la vie. Le couffin ne se remplissait plus comme disait mon grand-père avec "la baraka" l'aide de Dieu, à celui des temps de nos aïeuls, mais avec la mendicité des affamés de chairs, et du gain facile sans la sueur du front.

Je cheminais en errante, un champ erratique. Au commencement, des lignées discordaient mon grain de quiétude. Les trottoirs servaient à écouler des marchandises en tous genres. Des prostituées marchandaient le soleil levant aux passants, vous vendant le médiatiquement manipulé du vendable, des maladies à long terme pour le prix d'un euro. Sur un autre pallier, des maquereaux, vous fixant d'un sourcil levé au ciel, et souvent, vous gueulant au nez d'avoir tenté le diable, si le prix vous semblait exorbitant. Certains prétendaient que l'entrée était soudoyée de plus en plus la veille, et que chacun limitait son foyer d'accueil. Ce trafic de gangsters louaient des chambres. Le pied coûtait la longueur d'une arme blanche, ainsi qu'au gonflement des biceps, et aux balafres tracées sur le visage, qui étaient humainement indéchiffrables. Quant à la municipalité, elle fermait l’œil à tout ce bazar conflictuel d'intérêts.

En longeant mon paysage nocturne, un semblant d'une ville en fête hors calendrier festif me terrait de ses bras béants. L'horizon d'un voyage vétuste au Moyen Age bardait le centre à vivre. Une convulsion d'une fièvre putride, une influence corruptrice exhalait le pernicieux. La caverne d'Ali baba du golfe Persique, nous gâtait la vie de ses offrandes sans égard aux dus. En guise de remerciement, des guirlandes d'habits étaient suspendues sur des cordes à linge, chaque extrémité était clouée soit à un arbre, soit à un poteau de lumière, le tout servant de placard de rangement en désordre discontinu. Si bien que le vent s'amusait à les dandiner à son gré capricant. Des goûts d'ailleurs emplissaient les narines. Une panoplie était offerte, une exécrable démarque, le prix étant inapproprié, bien au plus bas de la qualité. Un commerce frauduleux, servant à blanchir une sainte monnaie. Au galop, d'une avalanche de déluge, d'un déferlement irrésistible de force, de violence et de banditisme. Faire crouler le pays dans le flux des dettes, et privatiser les richesses nationales. 

Que le temps paraît maudit quand le business prime...

Plus loin dans cette foulée en transe, une autre minorité s'agrippait à un accoutrement hostile, et se souciait du paraître, sans réaliser que l'habit ne fait pas le moine. Pourtant, nos disciples s'habillaient de la tête aux pieds des coutumes, et des usages du pays. Ils respectaient la liberté d'autrui, fructifiaient la valeur humaine, et déambulaient avec l'habit traditionnel à travers les médinas sous les regards admirés des touristes. L'enseignement était cette culture qui se relayait de génération en génération. L'étui naturel ne déguise l'apparence.

Sur l'avenue, le trafic était dense à longueur de journée. Un embouteillage monstre sous un climat touillait de surenchères de mots. Un développement du noctambulisme se frayait une poussée de tapage. Des mains s'agitaient fébrilement pour accompagner la discussion vers une dispute, une catalepsie à n'entendre la raison. La pression montait, et faisait suite à un carambolage humain, une mimique à qui voulait forcer le bras de fer viril. Une cacophonie de klaxons, de hurlements, et joignant le bal des cris de louanges que crissaient les cordes vocales, et tantôt laissant la carrosse pour soi. Et pour occuper le temps fainéant, lentement, un spectacle gratuit fut aussitôt comblé. Les protagonistes n'étant plus seuls, des braves figurants remplissaient honorablement la scène. N'ayant pas de texte rédigé à l'avance, les érudits du théâtre exploitaient l'imaginaire de l'assemblée pour combler le vide du scénario. En somme, le chambard démoniaque jubilatoire.

L'après-midi s'achevait au milieu de ce vacarme. Le ciel devenait plus clément, et dégageait pour scintiller quelques étoiles vagabondes qui auréolaient une lune montante les échelons majestueux de la déesse. Au port noble tant l'humilité qui courbait sa noblesse la rendait plus qu'humaine. C'est le moment que j'appréciais le plus à savourer.

Mes pas m'amenaient à des siècles de l'histoire. Des endroits qu'avaient côtoyés les plus grands poètes, artistes, et les gens de lettres. Cet esprit de penseur engagé, une manière profonde de réfléchir à des problèmes généraux. Certes, la politique était le vif tranchant. Triste était de constater, qu'un désert de culture l'avait remplacé par la fièvre d'un panache existentiel.

Les bâtisses n'étant plus ceux d'antan. Une épidémie de frime aiguë occupait l'orbite. Des noms stylisés aux Champs-Elysées. L'assoiffé du faussaire et de l'imitation vergogneuse. Le marché suit l'offre et la demande, et les locataires de ce pays ne voulant plus de cette identité collante, s'agrippaient à des griffes, peu importe d'être en série, ou que le design n'aille à la morphologie, l'essentiel étant d'être "In". Le corps n'a plus se charme recherché. Le pan d'un tissu pouvait suffire à habiller tout le corps, soit celui du haut, soit celui du bas. L'élégance vestimentaire des différents âges était en désuétude. Un bizarre phénomène d'inversion.

J'ai pris une place sur une véranda d'un café, qui se trouvait au cinquième étage. L'endroit ne m'était plus familier. J'avais gravé dans mes souvenirs, sa simplicité d'accueil, sa convivialité chaleureuse, ses couleurs chatoyantes. Il s'était reconverti au luxe froid, orné de quelques plantes sèches, et saturé d'une fumée salubre. Des jeunes visages tripotaient le virtuel sans relâche. Un écran couleur dotait d'un petit mécanisme avait chambardé la vie de la planète terre. Personne n'était à l'écoute de l'autre, tellement, les tâches gestuelles se faisaient mécaniquement. Les phrases étaient écourtées, insignifiantes et la plupart banales.

Je ne me reconnaissais plus, l'hallucination était affligeante. J'étais envahie par des tritures et des parasites électriques. Ces sue-sangs nous rangeaient le corps, ces vermines nous dévoraient le bonheur, nous sirotaient le plaisir des rencontres, se heurtaient à un tête-à-tête, bref, un mariage sans consentement. Le sourire s'était figé sur un calendrier d'avant la guerre. Un phénomène de société... plus personne ne sourit. 


Comment était la vie d'autrefois ??