8.3.15

La peau de chagrin...



 -XI-
Étreintes 
***




Des fleurs parfumées agonisent l'éclat du jour, une partie de ma vie est très loin de moi... D'un passé que je n'arriverais plus à saisir. 

Je me sens triste à mourir...

L'ombrage de mon regard effeuillait silencieusement ma joie, mon sourire, ma gaieté, mes plaisanteries, mon amusement, ma douceur, et ma légèreté de vivre, une pénombre le masquait définitivement des rayons de la lumière. J'étais plongée dans une profonde mélancolie qui m'était longtemps mystérieuse, si imperceptible. Cependant, elle conspire à me submerger, à m'inonder et à m'accabler sous un intarissable flux de confusion. Elle se loge librement, sans défoncer aucune porte, à peine s'installe le spleen. Elle est sirupeuse, fluide, doucereuse, souvent sans être néfaste, mais bien rigide, robuste, comme une seconde peau qui coule ses laves tièdes après la mousson. Son obscurité tenante est indélébile, ses yeux sont indéchiffrables et pourtant envoûtants, enivrants de persévérance. Elle contient les confins de la félicité, s'interpose à mon bonheur, renferme mes rires nonchalants. Être seule est le refuge de sa potence, et l'abri de son ciel est ma demeure sans conditions, un tènement pernicieux...

Sur ma peau le dessin, de tous mes tourments, mon ivresse passée, engendrée, et permanente, des mots gardés en secret, mon ultime beauté sans combat.

Je sommeille dans la brume... Je pénètre l'enceinte de mon jardin clos à jamais. Les marches s'éclipsent sous mes pas. Au seuil du portail, dans une demi-obscurité, en haut et en grand, était gravé "Amour" en lettres d'or, comme une sorte de devise sacrée. J'avais déjà perdu ce culte de dévotion en chemin, et toutes ces belles promesses, trahies, il ne me restait que les stigmates et les vestiges d'une belle romance... Mais, encore, plus bas, apparaissait en lettres plus fines l'apparence d'une citation : "Ce qui est passé a fui... Ce que tu espères est absent... mais, le présent est à toi..." 

J'étais plus embrouillée et confuse que jamais, je ne voulais même pas puiser, ni céder au sens des mots. Et dans l'énergie du désespoir, j'ai commencé à secouer violemment la grille de fer forgé de toutes mes forces, je criais et pleurais dans un élan d'accablement, tout ce, à quoi j'aspirais, était de franchir la porte et revivre ce voyage d'éternité, mais personne ne m'entendit et nul ne m'ouvrit.

Pourquoi m'empêche-t-on d'accéder à mon dernier souhait ?. 

J'étais sous le choc et anéantie, j'ai fini par capituler et rebrousser mon chemin. Mais, soudain, j'ai réalisé que j'étais au bord du vide, nulle trace de mon retour parmi les morts-vivants. Visiblement, seuls quelques petits nuages me suivaient de très près, qui couraient dans le grand ciel et s'amusaient à dessiner des visages, et jouaient à pénétrer l'air et à friser mon ombre. 

Je me suis distraite un moment dans le jeu et sous la poussée d'une hallucination, mon corps vacilla dans le vertige des abîmes et tomba dans le vide. J'essayai de me retenir à une brise légère qui virevoltait mes cheveux... Je me suis réveillée en sursaut, une sueur froide perlait sur mon front, ma gorge était sèche par l'étouffement, j'étais par terre dans ma chambre, ce n'était qu'un mauvais rêve.

Aussi loin que remontaient mes souvenirs, j'aurais tant aimé réparer la blessure originelle...


[...]

4.3.15

La peau de chagrin...



-X-
Mon monde s'embue de nuages gris
***




C'était un jour de solitude comme un autre qui s'amassait sur le temps vertigineux. La moiteur matinale de l'air murmurait l'amour à la terre.  Des gouttes de rosée luisaient sur les tiges élancées d'un vert foncé, pareilles à des perles diaphanes. Des fleurs chatoyantes, miroitantes à la fantaisie, exhibaient la beauté d'une madone, une fontaine haletante gloussait des jets d'eau, des oiseaux légers picoraient dans le cœur flétri de la sève. Un tableau vivant et presque folâtre...

Pourtant, je peine à prendre mon envol... 

Mon corps refuse d'oublier... L'absence de l'âme qui a longtemps gigoté en moi, était comme un mirage hurlant que je ne pouvais taire son cri brisé. Mon cœur me serre devant une scène de mère portant son enfant, mon souffle m'étouffe quand j'entends un enfant appeler, "maman", les larmes frissonnent mes yeux quand un enfant câline sa maman... Ma poitrine s'affole et scande ma douleur... Je sentais la flagellation et l'incision avec un excès de cruauté sans relâche, j'étais engourdie dans une béance énorme, je suffoquais le dernier souffle vain. Une brume sournoise fumait mon corps à foison, le souffle de sa bouffée attiédie, rampait à travers mes interstices, un pincement venimeux et furieux imprégnait la morsure du brûlé vif. 

La peur me traque, et me ravage comme la peste, je l'attendais, immobile, avec autant de terreur, elle est si cruelle et immonde quand je devenais sa captive. J'étais consumée dans la braise des flammes de la mélancolie gangrenée, je m'assombrissais dans le dégoût de soi-même et de l'existence, tout m'était fade et insipide, même l'élément substantiel avait perdu l'esprit fondamental. La torture du choix du moi si permanente, et pourtant fugace. Mon moi qui m'a été confisqué ou a été réduit à une décision étriquée. Un ouragan tempestif traçait un sillage obscur dans le conscient réel. L'ombrage d'une cabale secrète s'ourdissait contre moi, mes nerfs en trame piégeaient, et parvenus à l'extrême usure. 

Je m'étais enroulée dans un cercle vicieux et rabâchant, du pourquoi de ce moi et les autres, du sort qui s'était abattu sur moi, alors que j'étais parmi les plus chanceuses. J'avais tout ce qui me rendait heureuse, je ne me suis jamais plainte, je me contentais du peu que la vie m'offrait, je le grandissais à mes yeux et à ma convenance, et autant je le nourrissais de projets... Et, pourtant, il a suffi aussi du peu pour perdre, l'instant d'après le "Tout" de toute une vie... Je me suis perdue dans ce tourbillon du moi, dans l'explosion de mon cœur en cri, au risque d'une rage impie. 

Il me restait l'alternative d'arriver à apprendre à me renier, ou à renier ce caveau qui gisait au fond de moi ou dans les profondeurs de mon esprit... 

Dans le lointain, il arrivait qu'un amalgame de l'"Enfant intérieur" se remue en moi, sans toutefois, distinguer si c'est la voix de celui que j'avais perdue ou de celle de la petite fille en moi qui était restée cachée et abandonnée dans une peur constante... dans ce monde d'adultes. La lumière l'avait effrayée, ainsi et depuis toujours, j'avais étouffé ses sanglots, brimé ses émotions et malmené une grande part de sa candeur. C'était la vengeance de la petite fille qui prenait le dessus et prédominait sur la femme que je suis, ou qu'elle ne soit, tout simplement, porteuse de transformation... ou qu'elle ne porte dans ses bras que le linceul de mes souffrances éternelles... 

Je voudrais tellement pouvoir la reconnaître et libérer sa nature peuplée... Parvenir à réconcilier, à reconquérir l'état de l'enfant sous silence...


[...]